L’OBS Rue 89 /Electrosensibles 07/08/2015
 
Des larmes et une « petite bombe » : les malades des ondes en docu
Thibaut Schepman | Journaliste
Un homme se déplace habillé d’un voile de protection dans Paris, il ressemble à un apiculteur.
Un groupe de gens se réunit dans la forêt, sous la pluie, et en veut aux autorités qui « ne font rien pour [eux] » et « attendent qu[ils] meurent gentiment dans [leur] trous ».
Une femme sent que quelque chose lui « vrille les cellules » depuis que ses voisins ont des téléphones portables. Parfois, elle passe la nuit dans le coffre de sa voiture.
Bande-annonce de « Cherche zone blanche désespérément »
Tous ces gens sont électro-hypersensibles (EHS). En présence de wifi, de téléphone sans fil ou portable, d’antenne relais ou même d’une caméra en marche, ils décrivent ces symptômes : maux de tête, perte de concentration, fatigue extrême, malaises. La violence et la fréquence de ces maux les poussent à quitter leur emploi, leur famille et à vivre dans des caves, des forêts, des grottes.
Un documentaire qui sera diffusé ce samedi sur France 5 ( « Cherche zone blanche désespérément », France, 2013, 52 min, le 8 août 2015 à 19h00) montre avec beaucoup de finesse ce qui est terrible dans cette maladie : quasiment pas reconnue et difficilement compréhensible par ceux qui n’en souffrent pas, elle fait passer les malades – certes souvent apeurés et désorientés – pour des paranoïaques. « Le plus simple était de considérer que tous ces gens devaient exagérer un peu », dit même le réalisateur, Marc Khanne.
 
La « petite bombe » du docu
Pourtant, le nombre croissant des victimes déclarées et la reconnaissance progressive du mal par les autorités fait peu à peu prendre conscience du problème des ondes. D’abord incrédule, Marc Khanne finira par jeter son téléphone sans fil à la poubelle et débrancher son wifi.
Le réalisateur donne longuement parole à Pierre Le Ruz, président du Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem), expert en rayonnement non ionisant, qui lance une petite bombe en dévoilant cette hérédité méconnue : « L’invention du portable découle de celle du radar. » :
« Les fréquences qui étaient utilisées par les radars ont été abandonnées par les militaires parce qu’ils les trouvaient trop dangereuses pour les gens qui les utilisaient, c’est-à-dire pour les radaristes. Il y avait des effets thermiques et des effets athermiques, que les militaires appelaient les “effets spécifiques”, c’est-à-dire des troubles, des picotements au niveau des mains, des sensations de brûlures (…) des troubles de l’agressivité, du sommeil, de mémoire.
Lorsqu’on fait une analyse de sang, on constate que les hormones réparties dans le plasma du sang sont réparties de manière anormale, et quand on regarde les globules blancs que l’on appelle les leucocytes tueurs, il n’y en a presque plus, donc on ne peut plus se défendre, c’est décrit dans la littérature on appelle ça le syndrome des micro-ondes. (...) Les opérateurs de téléphonie mobile ont repris ces fréquences, qu’on retrouve aujourd’hui sur ce qu’on appelle le GSM 800 et 900, la 3G, la 4G. On connaît les effets depuis les années 70, les effets promoteurs et copromoteurs de cancer, les phénomènes de leucémie, de lymphome... »
Selon ce chercheur, les ondes qui ont causé des troubles aux radaristes provoquent aujourd’hui les mêmes symptômes chez certains malades des ondes.
On regrette que le réalisateur écarte à ce moment du documentaire la controverse scientifique énorme qui pèse sur ces questions, en avançant seulement que tout cela est :
« Déjà largement documenté dans des études qui c’est vrai n’étaient pas criées sur les toits » (sic).
 
Des ondes dangereuses ? Oui, mais...
La réalité est plus complexe. Le dernier avis des autorités sanitaires françaises (l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Anses) sur le sujet estimait qu’il n’y a « pas de risque sanitaire avéré » sur le sujet. Gérard Lasfargues, le directeur général adjoint de l’Anses, précisait tout de même :
« Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risque pour la santé. Des études montrent en effet des risques mais le niveau de preuves reste limité. Elles se basent sur des cas-témoins : on interroge des sujets atteints de tumeurs sur leurs pratiques dans le passé. Cela comporte bien sûr des biais. Il n’est pas évident de se souvenir avec précision combien de temps vous passiez au téléphone chaque jour il y a quinze ans… »
En clair, des études tendent à confirmer des conséquences sur l’être humain, notamment en cas de fortes expositions, mais aucune étude sanitaire à grande échelle sur toute une population n’a été réalisée. De même, il est difficile d’établir un lien de cause à effet entre l’apparition de tumeurs par exemple et la présence d’antennes, on parle plutôt de présomptions de preuves.
Ce qui a tout de même permis à l’OMS de classer en 2011 les ondes comme « peut-être cancérogène pour l’homme » puis à l’Anses d’appeler dans un nouveau rapport paru en 2013 à « limiter l’exposition de la population, notamment pour les enfants et les utilisateurs intensifs ». Conseil suivi par nos parlementaires qui ont adopté en janvier une loi assez décevante mais qui instaure tout de même principe de « sobriété  » de l’exposition du public aux champs électromagnétiques. Pas de quoi sortir les EHS de leurs caves et forêts, mais c’est un début.
Electro-hypersensibles cherchent Zone Blanche désespérément
Le 17 janvier 2015 à 14:15                                                                                            
ondes électromagnétiques/téléphones portables
 
Le développement des ondes électromagnétiques a des conséquences inattendues. De plus en plus de personnes se disent hypersensibles aux ondes. Elles n’arrivent plus à vivre en villes et recherchent des zones dépourvues d’ondes artificielles. Marc Khanne raconte leur calvaire dans le documentaire « Cherche Zone Blanche désespérément », diffusé sur Public-Sénat ce samedi 17 janvier à 22h. Il sera rediffusé dimanche 18 janvier à 18h, lundi 19 janvier à 17h15 et samedi 24 janvier à 15h15.
 
La plupart des gens voient l’hypersensibilité aux ondes comme une psychose. Pour découvrir leur histoire, le réalisateur part à leur rencontre. Il y découvre alors une vie très difficile, toujours à la fuite des ondes électromagnétiques. En présence d’ordinateurs connectés en wifi, de téléphones portables, de téléphones sans-fils domestiques (DECT), d’antennes relais ou de caméras, leur douleur est vive. Pour les plus atteints, obligés de vivre reclus dans des grottes ou à l’écart des villes, la vie devient infernale. Ils doivent porter une tenue spéciale composée de tissus en fils métalliques pour se protéger des ondes rencontrées sur leur chemin.
Cette pollution invisible est dure à comprendre pour qui n’y est pas sensible. Le phénomène touche toutes les régions et se caractérise par la violence des symptômes. Il s’agit bien de douleurs physiques, notamment au niveau du cerveau, des sensations de brûlures, un emballement du rythme cardiaque… Confrontés à toutes sortes de symptômes, ils doivent se calfeutrer, déménager et parfois quitter famille et travail.
Face à un phénomène encore mal-connu et source de controverses, Marc Khanne fait le choix d’une approche humaniste. Il présente dans son documentaire des portraits touchants, qui témoignent d’une souffrance manifeste. Il étaye ses propos de quelques faits scientifiques et historiques bien établis
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Des hypersensibles aux ondes qui interrogent notre environnement
« Est-ce qu’on n’est pas les premières personnes qui réagissent en disant «oh là là », il y a quelque chose de dangereux ? », s’interroge l’un de ces électro-hypersensibles. Un autre, livre un témoignage poignant. « L’errance, elle est imposée aujourd’hui à des personnes qui ne sont absolument pas préparés à la vivre, à Monsieur tout le monde. Ouvriers, ingénieurs, pharmaciens… un peu tout le monde. Et du jour au lendemain, vous vous retrouvez sur la route avec plus rien, pas un seul petit endroit où vous pouvez vous poser. Vous êtes en perpétuelle quête d’un endroit où vous êtes bien. Mais vous ne le trouvez pas. […] C’est tellement simple d’irradier et c’est tellement compliqué d’arriver à s’en extraire. Reconstruire sa vie dans une grotte, reconstruire une vie dans une cave, ce n’est pas simple et, sincèrement, ce n’est pas enviable ». Ces malades demandent donc l’ouverture de zones blanches, des villages libres de toute onde artificielle, sans trouver d’oreilles attentives à leurs problèmes.
Plusieurs centaines de personnes seraient hypersensibles aux ondes en France. A en croire le Directeur général scientifique adjoint de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), ce nombre devrait augmenter. « Il y a un nombre de plus en plus grand de personnes concernées », explique-t-il « Potentiellement, cela concerne un nombre non négligeable de personnes dans la population », prévient-il.
 
Du radar au téléphone portable
L’invention du téléphone portable découle de celle du radar. Les militaires jugeaient les fréquences utilisées trop dangereuses pour les radaristes. Elles avaient notamment des effets thermiques et engendraient des troubles du sommeil et de la mémoire chez ces travailleurs ; leurs globules blancs diminuaient. Après l’abandon de ces fréquences par l’armée, les opérateurs de téléphonie mobile les ont récupérées pour créer les ondes d’aujourd’hui.
Pour Serge Sergentini, porte-parole de l’ONG Next-Up à l’origine du premier refuge anti-ondes de France dans la Drôme, « l’homme est bio-électromagnétique et ces champs électromagnétiques exogènes perturbent nos échanges électromagnétiques endogènes. C’est pour cela qu’il y a des gens qui sont dans une prédisposition et qui peuvent ressentir cela ». Le développement de la 3G et actuellement de la 4G amplifient le phénomène, les ondes émises dans l’air étant de plus en plus énergétiques.
Plusieurs d’entre nous seraient déjà des hypersensibles aux ondes en devenir. Selon les pays, de 1 à 10 % de la population présenterait déjà des signes d’électrosensibilité selon le ministère de la santé autrichien. La généralisation de la 4G et la multiplication des objets connectés sera peut-être la goutte d’eau qui les fera basculer vers l’hypersensibilité aux ondes.
L’électro-hypersensibilité est une maladie terriblement handicapante
produite par les technologies sans fil.
Marc Khanne donne la parole à ceux et celles qui souffrent d’EHS
(samedi 17 janvier à 22 heures sur Public Sénat)
Certains les considèrent comme des fous ou des illuminés. Eux se disent victimes d’un mal invisible appelé électro-hypersensibilité (EHS). Et ils sont de plus en plus nombreux, en France et dans le monde, à souffrir de cette maladie. Pour résumer, des hommes et des femmes, de tout âge, sont allergiques aux ondes et ne supportent plus d’y être exposés. Le Wi-Fi, les téléphones portables ou encore les antennes relais torturent leurs corps et provoquent insomnies, sensations de brûlures, maux de tête, pertes de concentration… La liste des symptômes est loin d’être exhaustive.
Fuir les ondes Wi-Fi
A preuve, le témoignage presque irréel d’Elisabeth. Agée d’environ 50 ans, cette femme explique qu’elle n’a même plus la force de prendre les transports en commun à cause des gens qui utilisent leurs smartphones sans relâche. Les champs magnétiques lui font vivre un enfer. Au point qu’elle doit même fuir, la nuit, son domicile, car les ondes du Wi-Fi des voisins traversent les murs et l’empêchent de dormir. Pour trouver un peu de répit, Elisabeth se réfugie dans le coffre de sa voiture. Bruno, son mari, assure, un peu impuissant, qu’elle est « victime d’une pollution, d’une technologie », mais qu’il est extrêmement difficile de « comprendre ».
D’autres, comme Elisabeth, témoignent dans le documentaire Cherche zone blanche désespérément. Il y a Bernard qui, dans sa camionnette, sillonne les routes de sa région à la recherche d’un lieu protégé. On peut citer aussi la mère d’Ethan, un garçon d’une dizaine d’années, qui, au départ, n’a pas compris pourquoi son enfant criait de douleur. Les médecins, ne sachant que faire, lui ont conseillé de voir un psychologue. Jusqu’au jour où elle a vu à la télévision un débat sur l’électro-hypersensibilité et qu’elle a réalisé que son fils était atteint de cette maladie. Ou encore Bernadette, la soixan­taine, qui ressent une immense fatigue sitôt qu’elle est proche d’un réseau Wi-Fi ou d’une antenne relais. Pour être soulagée, elle a trouvé une solution pour le moins radicale : vivre dans une grotte.
Le parti pris du réalisateur Marc Khanne est intéressant puisque, dès le début, se mettant en scène, il ne cache pas son scepticisme au sujet de l’électro-hypersensibilité. Aussi est-il parti à la rencontre de ceux qui souffrent d’EHS. Et là, on découvre un monde insoupçonné : les uns ont abandonné leur travail pour s’éloigner des grandes villes ; d’autres, pour se protéger des ondes, vont jusqu’à revêtir un voile intégral en tissu métallique. On mesure mieux, à travers ces témoignages, la détresse de ces femmes et de ces hommes, leur solitude et l’incompréhension dont bien souvent ils sont victimes.
Des «  zones blanches  » ?
Ils sont aujourd’hui nombreux à réclamer que l’Etat mette en place des « zones blanches », c’est-à-dire des endroits où portables, ordinateurs et Wi-Fi seraient bannis. Mais encore faudrait-il, comme le soulignent certains, que les autorités publiques prennent davantage au sérieux le problème de l’EHS dans la société.
Grâce à ce documentaire, les téléspectateurs pourront se faire leur propre opinion et se poser immanquablement cette question : doit-on, pour son bien et celui d’autrui, débrancher son Wi-Fi et son téléphone portable ?
Allergiques aux champs électromagnétiques
Le Monde.fr | 16.01.2015 à 17h56 |Par Mustapha Kessous
Télérama - Virginie Félix - publié le 17 janvier 2015
 
Sommes-nous insensibles aux électrohypersensibles ?
 
Près de 2000 personnes en France seraient malades des ondes. Un sujet rarement pris au sérieux, regrette Marc Khanne, dans un documentaire diffusé sur Public Sénat.
Pour eux, portable rime avec insupportable, wifi et antennes relais sont synonymes de souffrances physiques et de vie quotidienne impossible. Pendant trois ans, le réalisateur Marc Khanne s'est attaché à la situation ubuesque et méconnue des électrohypersensibles (EHS), ces malades des ondes qui en viennent parfois à abandonner maison, travail, famille pour se réfugier en pleine forêt loin des champs électromagnétiques. Son film, Cherche zone blanche désespérément, diffusé samedi 17 janvier sur Public Sénat, attire salutairement l'attention sur ceux qui s'estiment victimes d'une nouvelle forme de pollution invisible et déplorent de ne pas être pris au sérieux.
 
Qu'est ce qui vous a amené à vous intéresser au problème des personnes électrohypersensibles ?
Je voulais comprendre pourquoi actuellement en France, entre 1000 et 2000 personnes ne peuvent plus vivre dans la société parce qu'elles sont devenues hypersensibles aux ondes électromagnétiques et qu'elles ressentent toutes sortes de symptômes physiques en présence de téléphones portables ou de systèmes de communication sans fil.
J'ai été alerté par une de mes amies qui est tombée malade. Elle ne pouvait plus sortir de chez elle, l'exposition aux ondes la mettait dans un état de grande fatigue. Même son mari, médecin, ne pouvait rien faire pour elle. Cela m'a troublé, j'ai commencé à m'intéresser à la question, à enquêter et je me suis rendu compte que mon amie était loin d'être la seule dans son cas.
J'ai lancé un appel à témoignage sur Internet, en trois jours, j'ai reçu une trentaine de réponses. Mon amie m'a également mis en relation avec d'autres personnes dans la même situation qu'elle, avec lesquelles elle était en contact. Comme elle ne pouvait pas approcher l'ordinateur et envoyer des mails elle-même, c'était son mari qui faisait l'interface, qui lui lisait les courriers et postait les réponses !
 
A quelles difficultés avez-vous été confronté en vous emparant de ce sujet, technique et méconnu ?
Face au problème des électrohypersensibles, il y a une incrédulité très forte, que j'ai pu constater dès le début de mon enquête. A part les personnes qui sont touchées, qui en ressentent les symptômes, c'est un sujet qu'on ignore ou dont on se désintéresse. Quand elles évoquent leur souffrance, leurs symptômes (maux de têtes violents, insomnies, immense fatigue…), ces personnes ne sont pas crues. Même leur propre famille, le plus souvent, ne les prend pas au sérieux.
D'emblée, j'ai vu aussi qu'il existait une énorme controverse scientifique sur la question des ondes électromagnétiques, leurs effets, leurs dangers, avec des suspicions de part et d'autre. Il faut dire que la technologie du mobile, et toutes les technologies liées aux ondes électromagnétiques, représentent un énorme moteur économique. Entre ceux qui font des études indépendantes et ceux qui font des études officielles, – souvent payées par les lobbies – les conclusions ne sont pas les mêmes.
C'est un sujet extrêmement technique. Moi, je suis documentariste, pas journaliste d'investigation. Je ne suis pas Elise Lucet, Cash investigation, je n'ai pas cette force là, je travaille tout seul. J'ai donc préféré m'appuyer sur ce qui me semblait le plus à ma portée, l'humain, les personnes qui souffraient. Je me suis dit que la force de leurs témoignages pourrait déjà constituer une forme de preuve que ces gens là ne sont pas des fous. Parmi les personnes que j'ai rencontrées, certaines sont d'ailleurs très diplômées, très qualifiées. Il me semble qu'il y a dans leurs propos une certaine cohérence, des preuves que ce dont ils souffrent n'est pas une vue de l'esprit, comme on le prétend.
 
Votre film a-t-il eu du mal à voir le jour ?
D'abord, ça a été compliqué de trouver un producteur, de convaincre mes proches que le sujet était digne d'intérêt… J'ai contacté plusieurs boîtes de production à Paris qui n'ont pas donné suite. J'ai fini par obtenir le soutien de Vosges Télévision, une petite société qui avait déjà produit un de mes films sur le reboisement en Ardèche. Mais ça a été quatre ans de quasi-bénévolat.
Ensuite, j'ai eu du mal à recueillir le témoignage de scientifiques. La plupart de ceux qui ont accepté de me parler et de m'éclairer sur le sujet m'ont fait jurer dès le départ de ne pas les enregistrer, de ne pas les photographier, de ne jamais citer leur nom. Pour eux, le sujet est très sensible… S'ils commencent à dire que les ondes électromagnétiques peuvent avoir des effets sur la santé, leur labo risque d'en souffrir, leurs crédits ne pas être reconduits pour l'année suivante. J'ai été étonné d'entendre des chercheurs me prévenir : « Je vais vous dire ce que j'ai à vous dire, parce que c'est mon devoir, mais surtout, vous ne me citez pas, je n'existe pas ! »
 
Votre point de vue sur le sujet a-t-il évolué au fil de l'enquête ?
Il s'est conforté. Certaines situations vécues par ces gens là sont assez terribles, comme cette femme qui doit dormir dans le coffre de sa voiture, ou cette autre qui a trouvé refuge dans une grotte. Même si les EHS ne sont pour l'instant que 1000 à 2000 en France, je trouve qu'on devrait essayer de les prendre en considération. Ce sont des gens qui sont de fait exclus de la société. Y compris des enfants, comme le petit Ethan qui témoigne dans le film, qui ne peuvent plus aller à l'école et qui n'ont plus les capacités de mémorisation pour conduire leur apprentissage.
Même si ça ne touche que 1000 ou 2000 personnes, pourquoi ne trouverait-on pas des solutions ? Pourquoi tient-on absolument à généraliser les ondes sur l'ensemble du territoire ? Pourquoi ne laisse-t-on pas des espaces un peu préservés, pour ces gens là mais aussi pour la nature ? Et puis, il y a le doute que le nombre des EHS puisse augmenter dans les prochaines années…
 
Vous expliquez, à la fin du film, que vous avez débranché le wifi chez vous et renoncé au téléphone domestique sans fil. Même si vous n'êtes pas électrohypersensible, vous préférez vous protéger ?
Oui, je le fais parce que j'ai des enfants. Et parce que j'ai pris conscience que si je pouvais baisser, au moins à la maison, le niveau d'ondes, c'était peut-être mieux pour la santé, si j'en crois les scientifiques que j'ai rencontré. J'applique le principe de précaution : le portable, je continue à m'en servir à petite dose. Je l'allume quand j'attends un appel, sinon je sais que j'ai un répondeur où l'on peut me joindre. J'en fais un usage raisonné : par exemple, quand je suis dans les transports, en voiture, en train, là où il émet beaucoup plus fort, je l'éteins.
 
Quand on entend dans votre film le lanceur d'alerte Pierre Le Ruz expliquer que la technologie du téléphone portable est voisine de celle du radar militaire dont les effets délétères ont été démontrés scientifiquement depuis cinquante ans, il y a de quoi s'inquiéter…
Oui, quoi faire une fois qu'on commence à se dire que ces ondes peuvent avoir des effets délétères sur notre santé ? C'est assez troublant de penser que si on est vraiment en face d'une technologie délétère, rien ne semble pouvoir arrêter son avancée. Aujourd'hui, on parle de domotique, de maison connectée, d'objets connectés, le sans fil est partout. On est face à une espèce de vertige. Je ne sais pas si on va vers un scandale sanitaire comme le prédisent certains chercheurs indépendants. Mais en tout cas, avec ce film, j'espère déjà faire prendre conscience qu'il y a des gens qui ne peuvent plus vivre avec ça. Alors, est-ce qu'on les passe par pertes et profits, ou est-ce qu'on essaie de faire quelque chose pour eux ?
Festival du film durable de Mouscron (Belgique), du 9 au 11 janvier 2015
Lire, écouter, voir,
L’âge de faire N° 93 Janvier 2015
Marc Khanne, dans son documentaire Cherche zone blanche désespérément, témoigne de la souffrance des personnes électrosensibles. Il pose la question des limites à donner au développement des technologies sans fil, qui empêchent une partie de la population de vivre.
Recueilli par Nicole  Gellot / Lagedefaire-lejournal.fr
Dans votre film, vous avez privilégié les témoignages de personnes dites « électro-hypersensibles » ou « EHS », qu’avez-vous ressenti à l’issue du tournage ?
Marc Khanne : J’ai senti une sensation d’urgence vis-à-vis de leur souffrance et une grande frustration face aux avancées galopantes de cette technologie. La prise en compte de l’électrosensibilité avance lentement. Pourtant, beaucoup de gens sont impactés et les signaux d’alerte sur les risques liés aux ondes électromagnétiques sont là. On sait qu’elles peuvent provoquer des cancers ou des maladies neurodégénératives. Au cours des trois années qu’a duré mon enquête, je me suis attaché à la souffrance des parcours. J’ai suivi soixante personnes électro-hypersensibles pour en retenir une quinzaine dans le film.
Est-ce qu’il y a une histoire qui vous a particulièrement ému ?
M.K. Oui, celle du jeune garçon, Ethan. J’ai des enfants du même âge. Il a été un aiguillon pour moi. Quand on traite un sujet aussi compliqué on a des moments de découragement. C’est le seul enfant dont la famille a accepté qu’il puisse témoigner et être filmé. Ça reste quelque chose de honteux. Il avait entre 11 et 12 ans quand je l’ai rencontré. Trois ans plus tard, il n’a toujours pas pu reprendre sa scolarité. Ses parents ont tout essayé. Ils ont déménagé dans un village plutôt protégé des ondes et puis la 4G est finalement arrivée. Depuis tout petit, il avait été exposé à un babyphone; leur maison se trouvait entre différentes sources de pollutions électromagnétiques. Il faut ajouter l’antenne relais installée face à son collège, l’année où il a craqué, les vaccinations …c’est très complexe. Si le corps a une faiblesse de constitution, il peut disjoncter.
Dans votre film, vous vous demandez si les électro-hypersensibles n’exagèrent pas un peu ?
M.K. J’ai pu vérifier moi-même les difficultés des personnes « EHS », par rapport à leur entourage et par rapport aux autorités, les doutes et les questions qu’ils suscitaient auprès de leur entourage. Je me suis donc remis dans l’état d’esprit d’une personne qui se dit « cartésienne »  en invitant le spectateur à suivre mon enquête pas à pas, mais aussi à aller de surprise en surprise. J’ai eu d’ailleurs eu du mal au début à convaincre un ami producteur qui pourtant avait déjà travaillé avec moi. Il m’a tout d’abord dit qu’il ne croyait absolument pas à cette histoire ». Mais il a eu la curiosité de me rejoindre en forêt, lors du tournage d’un rassemblement de personnes EHS pour réaliser que les gens n’étaient pas fous et qu’il y avait réellement un problème. Sur place, comme moi, il en pleurait. C’est un sujet dont on a du mal à réaliser la gravité, car les ondes sont invisibles ! Et si je regarde quelques années en arrière, je me souviens que moi-même, à l’époque, je n’avais pas été intéressé pour rejoindre des parents qui manifestaient contre l’installation d’une antenne relais.
Tout ce qui touche aux ondes électromagnétiques reste lourd et difficile à faire admettre au grand-public.
M.K. La population n’est pas consciente des risques. Les personnes électro-hypersensibles mettent parfois longtemps à comprendre que leur souffrance vient d’un DECT, des portables, de la Wi-Fi ou des antennes relais. Pourquoi ? Il faut bien concéder que tous ces systèmes peuvent s’avérer très pratiques. Et puis comme dans d’autres domaines liés à la santé, (tabac, amiante ,chimie etc.) il y a le poids des lobbies : les anciens de la téléphonie mobile se sont infiltrés dans toutes les institutions qui prennent les décisions. Ils sont au Conseil d’Etat ; on les retrouve aussi porte-parole des principales formations politiques. Ensuite, quand on est citoyen, on est abreuvé d’informations positives sur les ondes qui sont systématiquement associées au Progrès. Tout récemment, à la radio, on s’ébahissait de l’alliance Google et du Centre national d’études spatiales qui a pour projet de couvrir toute la terre en Wi-Fi à l’aide de de ballons stratosphériques. Les journalistes ne semblent avoir jamais entendu parler des centaines d’études scientifiques qui montrent des effets délétères du Wi-Fi sur le vivant, le végétal, les insectes, les oiseaux migrateurs, et bien sûr tous les êtres humains ! On apprend aussi que le gouvernement va vendre la bande de 700 Mégahertz aux opérateurs de téléphonie pour diffuser la télévision, or ce sont des fréquences particulièrement cancérigènes. Le gouvernement veut aussi équiper nos maisons de compteurs « Linky » pour l’eau, l’électricité ou le gaz (compteurs permettant des relevés à distance et générant continuellement une exposition aux micro-ondes pulsées). Je comprends les gens qui se disent que ça ne doit pas être si grave, puisque l’Etat va devenir un des principaux promoteurs du « Tout sans fil » sensée doper notre économie. Cela vient brouiller toutes les mises en garde qui deviennent inaudibles. On est capable de se mobiliser pour conserver des zones humides comme à Sivens, mais sur les antennes et sur l’aggravation dramatique de l’électrosmog, force est de constater qu’à part les personnes directement touchées il y a peu de mobilisation.
Votre film Cherche zone blanche désespérément sera diffusé le 17 janvier 2015 sur Public Sénat (et rediffusé les jours suivants) quelques jours avant l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi sur l’exposition aux ondes électromagnétiques. Enfin une vraie visibilité ?
M.K. C’est l’occasion de dire : « regardez ce qui se passe. » J’ai essayé de faire un vrai travail documentaire, à la fois humain, en passant suffisamment de temps sur le terrain pour être sûr de mon fait, et puis aussi argumenté auprès de scientifiques. Regardez le film, et faites-vous votre opinion, c’est mon message.
Diffusion de Cherche zone blanche désespérément le samedi 17 janvier 2015  à 22H sur PUBLIC SÉNAT (rediffusion les dimanche 18/01/2015 à 18h00, lundi 19/01/2015 à 17h15, samedi 24/01/2015 à 15h15
http://www.electrosensible-zone-blanche-ehs-film.com/index.html
Mini-encadré
Marc Khanne, après avoir été comédien et musicien, réalise depuis vingt ans des films documentaires sur des sujets sociétaux, culturels et environnementaux. Il est l’auteur entre autres de « La plage des volontaires » (2003) sur le naufrage du pétrolier Prestige et de « Aigoual, la forêt retrouvée (2007) sur le reboisement exemplaire d’une forêt

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